extrait de Cheval Pratique n°256, juillet 2011
Par Sandrine
Dhondt
Des bonbons ou des gratouilles? Quelle récompense est la plus
efficace?
Est-il préférable de caresser ou de donner un bonbon dans
le cadre de la récompense (ou "renforcement positif" en langage scientifique) ?
Vous ne vous étiez peut-être jamais posé la question mais une équipe de
chercheurs de rennes l'a fait pour vous. Voici les conclusions de cette étude
présentée lors de la 37e journée de la recherche équine, en
février.
En équitation comme dans l'éducation des chevaux en général
(prise des pieds, mise à l'attache...), la récompense alimentaire est peu
utilisée, contrairement à ce qui est pratiqué avec toutes sortes d'animaux, que
ce soit dans les cirques ou les centres aquatiques où le lion a appris à sauter
dans un cerceau de feu, récompensé d'un morceau de viande, et le dauphin à faire
d'un signe ses facéties aquatiques dans l'attente d'un poisson. Des animaux qui
ont, à bien les regarder, des dents plus redoutables que celles de nos chevaux,
pourtant il est traditionnellement dit, dans les écuries, que les friandises
incitent les chevaux à mordre.
Une précédente étude menée par Carol Sankey,
de l'université de Rennes ( que nous avions relatée dans le Cheval Pratique
n°228) prouvait déjà le contraire puisque le groupe de poulains au débourrage
récompensé avec des friandises avait tapé et mordu 5 et 6 fois moins que le
groupe témoin qui était entrainé sans récompense. La jeune chercheuse avait même
déjà constaté que les bonbons avaient eu des effets positifs non seulement sur
l'apprentissage mais aussi sur la relation entre ces jeunes chevaux et les êtres
humains.
Par ailleurs, une autre étude menée par Séverine Henry (elle aussi
de l'université de Rennes) avait déjà suggéré que la caresse n'est pas
immédiatement perçue comme un événement positif par le jeune cheval. Et
pourtant, nous sommes beaucoup à penser qu'elle peut suffire comme récompense.
Un choix qui peut apparaitre étonnant puisque, sur une journée, dans leur
"budget temps", les chevaux vont avoir des contacts tactils un peu moins de 1%
de leur temps contre les 65% qu'ils passent à manger.
Alors, dans
l'apprentissage, comme dans la relation, que faut-il privilégier: le bonbon ou
la gratouille? Une nouvelle recherche pour Carol Sankey. Et comme toujours, pour
étudier l'impact de l'un ou de l'autre, il a fallu comparer un groupe par
rapport à l'autre.
L'expérience
Les cobayes sont 20 chevaux de
race konik polski, des petits chevaux polonais proches du tarpan, âgés d'un à
deux ans, qui vivent en groupe dans une écurie où ils ont du fourrage et de
l'eau à volonté. Ils sont sortis dans un paddock quelques heures par jour.
Depuis leur naissance, les contacts avec l'homme ont été assez restreints
puisque limités uniquement à la distribution des rations et à ces transferts
"écurie/paddock/écurie".
Les vingt chevaux ont été soumis au même protocole
d'entrainement mené par la même expérimentatrice dans une écurie qui leur était
familière. Chacun était déplacé en longe, arrêté, puis l'expérimentatrice posait
la longe sur l'encolure, le regardait et prononçait l'ordre vocal "reste". Il
devait rester immobile en réponse à cet ordre vocal par paliers progressifs de 5
secondes, puis 10, 30, 45 et 60 secondes. Le test devait être réussi lors de 3
essais consécutifs avant de passer au palier suivant (soit 3 fois 5 secondes
avant de passer à 10 secondes...). Tous ont été entrainés durant six jours à
raison de 5 minutes par jour, soit un total de 30 minutes. Pour un groupe,
chaque essai réussi était récompensé par un morceau de carotte tandis que
l'autre groupe écopait d'un grattage au garrot de 5 à 10
secondes.
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encadré:
pourquoi le choix du garrot?
L'allogrooming, ou toilettage mutuel, s'effectue
sur des zones particulières du corps entre partenaires privilégiés. Autrement
dit: chez les équidés, on ne se gratte pas si l'on ne se connait pas bien! Deux
études passées, dont celle de Claudia Feh (spécialiste des chevaux de
Przewalski) avaient montré que la restitution de ce grattage au niveau du garrot
par un humain amenait une diminution du rythme cardiaque, d'où l'hypothèse que
cela pouvait être positif et favoriser la relation homme/cheval. Beaucoup
d'adeptes de l'équitation éthologique se sont emparés de cette étude pour tisser
une relation avec leur cheval. Andy Booth a beaucoup posé devant les objectifs,
en grattant sa jument Okies ou sa zorse Stormy, l'une et l'autre semblant
grimacer de plaisir! Si le garrot apparait souvent comme un endroit privilégié,
chaque cheval étant un individu, chacun a sa propre préférence: derrière les
oreilles, sous la queue, sous la crinière, sur le dos... Comme le suggérait Pat
Parelli dans son jeu de la gentillesse: "cherchez l'endroit où votre cheval aime
être gratté". Après ce temps de découverte, d'échange et d'apprentissage, tous
les propriétaires attentifs savent que leurs chevaux apprécient ces séances de
"gratouilles" et qu'ils viennent eux-mêmes chercher à être grattés en présentant
à l'évidence l'endroit
favori.
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Afin d'évaluer la performance d'apprentissage, les chercheurs ont évalué
l'obéissance par le temps pendant lequel les chevaux étaient capables de
maintenir l'immobilité au cours de chaque séance. La relation à l'homme a été
évaluée selon le test de la "présence passive": pendant 5 minutes, un
expérimentateur se tenait immobile au centre de l'écurie et chaque cheval était
libre de venir l'approcher ou non? Le temps de latence pour s'approcher était
relevé ainsi que le temps passé proche de l'expérimentatrice, c'est-à-dire à une
distance inférieure à 0,5 mètre.
Bilan et résultats
Bien sûr, des
différences sont apparues en fonction du type de récompense utilisée. Tous les
chevaux qui devaient être gratouillés n'ont pas semblé apprécier et ont même
parfois présenté des réponses négatives ou tout simplement souhaité s'éloigner
de l'expérimentatrice. Ceux récompensés d'un bout de carotte ont progressé
rapidement, surtout les trois premiers jours. Le dernier jour de
l'expérimentation, 90% de ce lot avait attein le palier maximal du temps
d'immobilité (soit une minute), contre 40% de ceux qui étaient récompensés par
le grattage du garrot.
Dans le test de "l'homme passif", les chevaux du
groupe "carotte" s'approchaient plus rapidement de l'homme et passaient plus de
temps proche de lui, contrairement au groupe "grattage au garrot", un
renforcement qui n'a semblé avoir apporté aucune amélioration dans ce sens!
Bref, le grattage de garrot n'a pas permis de réel progrès ni dans
l'entrainement ni pour la relation. Les chercheurs supposent que ce grattage n'a
pas été perçu comme suffisamment positif pour être associé à une récompense,
contrairement à la compensation alimentaire dont les effets positifs ont été
observés rapidement, tant sur la progression des chevaux à répondre à l'ordre
"reste" que dans la relation homme/cheval.
Quid des précédentes études qui
avaient suggéré un bien-être lié au grattage? Nos chercheuses de Rennes font
l'hypothèse que la durée de 3 minutes qui avait été choisie alors apportait un
effet "massage". Quant à l'abaissement du rythme cardiaque qui avait été
constaté, elles estiment qu'il ne permet pas de conclure vraiment sur la valeur
positive ou négative de l'action. Et l'on peut lire dans leur rapport de cette
37e journée de la recherche équine: "les réactions négatives de certains
individus suggèrent en tout cas qu'il ne s'agit pas d'un renforcement positif
universel", en effet, la caresse nécessite chez le cheval un apprentissage,
comme le savent tous ceux qui ont eu des poulains à manipuler.
Reste à savoir
pourquoi, si elles sont si efficaces, les récompenses alimentaires ne sont pas
plus utilisées dans la pratique équestre, qu'elle soit éducation ou
équitation?
Alors pourquoi pas les bonbons?
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