mercredi 28 décembre 2011

Bonbons ou gratouilles?

extrait de Cheval Pratique n°256, juillet 2011

Par Sandrine Dhondt

Des bonbons ou des gratouilles? Quelle récompense est la plus efficace?

Est-il préférable de caresser ou de donner un bonbon dans le cadre de la récompense (ou "renforcement positif" en langage scientifique) ? Vous ne vous étiez peut-être jamais posé la question mais une équipe de chercheurs de rennes l'a fait pour vous. Voici les conclusions de cette étude présentée lors de la 37e journée de la recherche équine, en février.


En équitation comme dans l'éducation des chevaux en général (prise des pieds, mise à l'attache...), la récompense alimentaire est peu utilisée, contrairement à ce qui est pratiqué avec toutes sortes d'animaux, que ce soit dans les cirques ou les centres aquatiques où le lion a appris à sauter dans un cerceau de feu, récompensé d'un morceau de viande, et le dauphin à faire d'un signe ses facéties aquatiques dans l'attente d'un poisson. Des animaux qui ont, à bien les regarder, des dents plus redoutables que celles de nos chevaux, pourtant il est traditionnellement dit, dans les écuries, que les friandises incitent les chevaux à mordre.
Une précédente étude menée par Carol Sankey, de l'université de Rennes ( que nous avions relatée dans le Cheval Pratique n°228) prouvait déjà le contraire puisque le groupe de poulains au débourrage récompensé avec des friandises avait tapé et mordu 5 et 6 fois moins que le groupe témoin qui était entrainé sans récompense. La jeune chercheuse avait même déjà constaté que les bonbons avaient eu des effets positifs non seulement sur l'apprentissage mais aussi sur la relation entre ces jeunes chevaux et les êtres humains.
Par ailleurs, une autre étude menée par Séverine Henry (elle aussi de l'université de Rennes) avait déjà suggéré que la caresse n'est pas immédiatement perçue comme un événement positif par le jeune cheval. Et pourtant, nous sommes beaucoup à penser qu'elle peut suffire comme récompense. Un choix qui peut apparaitre étonnant puisque, sur une journée, dans leur "budget temps", les chevaux vont avoir des contacts tactils un peu moins de 1% de leur temps contre les 65% qu'ils passent à manger.
Alors, dans l'apprentissage, comme dans la relation, que faut-il privilégier: le bonbon ou la gratouille? Une nouvelle recherche pour Carol Sankey. Et comme toujours, pour étudier l'impact de l'un ou de l'autre, il a fallu comparer un groupe par rapport à l'autre.


L'expérience
Les cobayes sont 20 chevaux de race konik polski, des petits chevaux polonais proches du tarpan, âgés d'un à deux ans, qui vivent en groupe dans une écurie où ils ont du fourrage et de l'eau à volonté. Ils sont sortis dans un paddock quelques heures par jour. Depuis leur naissance, les contacts avec l'homme ont été assez restreints puisque limités uniquement à la distribution des rations et à ces transferts "écurie/paddock/écurie".
Les vingt chevaux ont été soumis au même protocole d'entrainement mené par la même expérimentatrice dans une écurie qui leur était familière. Chacun était déplacé en longe, arrêté, puis l'expérimentatrice posait la longe sur l'encolure, le regardait et prononçait l'ordre vocal "reste". Il devait rester immobile en réponse à cet ordre vocal par paliers progressifs de 5 secondes, puis 10, 30, 45 et 60 secondes. Le test devait être réussi lors de 3 essais consécutifs avant de passer au palier suivant (soit 3 fois 5 secondes avant de passer à 10 secondes...). Tous ont été entrainés durant six jours à raison de 5 minutes par jour, soit un total de 30 minutes. Pour un groupe, chaque essai réussi était récompensé par un morceau de carotte tandis que l'autre groupe écopait d'un grattage au garrot de 5 à 10 secondes.

________________________________________________________________________________________________________________________________

encadré: pourquoi le choix du garrot?
L'allogrooming, ou toilettage mutuel, s'effectue sur des zones particulières du corps entre partenaires privilégiés. Autrement dit: chez les équidés, on ne se gratte pas si l'on ne se connait pas bien! Deux études passées, dont celle de Claudia Feh (spécialiste des chevaux de Przewalski) avaient montré que la restitution de ce grattage au niveau du garrot par un humain amenait une diminution du rythme cardiaque, d'où l'hypothèse que cela pouvait être positif et favoriser la relation homme/cheval. Beaucoup d'adeptes de l'équitation éthologique se sont emparés de cette étude pour tisser une relation avec leur cheval. Andy Booth a beaucoup posé devant les objectifs, en grattant sa jument Okies ou sa zorse Stormy, l'une et l'autre semblant grimacer de plaisir! Si le garrot apparait souvent comme un endroit privilégié, chaque cheval étant un individu, chacun a sa propre préférence: derrière les oreilles, sous la queue, sous la crinière, sur le dos... Comme le suggérait Pat Parelli dans son jeu de la gentillesse: "cherchez l'endroit où votre cheval aime être gratté". Après ce temps de découverte, d'échange et d'apprentissage, tous les propriétaires attentifs savent que leurs chevaux apprécient ces séances de "gratouilles" et qu'ils viennent eux-mêmes chercher à être grattés en présentant à l'évidence l'endroit favori.
_______________________________________________________________________________________________________________________________

Afin d'évaluer la performance d'apprentissage, les chercheurs ont évalué l'obéissance par le temps pendant lequel les chevaux étaient capables de maintenir l'immobilité au cours de chaque séance. La relation à l'homme a été évaluée selon le test de la "présence passive": pendant 5 minutes, un expérimentateur se tenait immobile au centre de l'écurie et chaque cheval était libre de venir l'approcher ou non? Le temps de latence pour s'approcher était relevé ainsi que le temps passé proche de l'expérimentatrice, c'est-à-dire à une distance inférieure à 0,5 mètre.


Bilan et résultats
Bien sûr, des différences sont apparues en fonction du type de récompense utilisée. Tous les chevaux qui devaient être gratouillés n'ont pas semblé apprécier et ont même parfois présenté des réponses négatives ou tout simplement souhaité s'éloigner de l'expérimentatrice. Ceux récompensés d'un bout de carotte ont progressé rapidement, surtout les trois premiers jours. Le dernier jour de l'expérimentation, 90% de ce lot avait attein le palier maximal du temps d'immobilité (soit une minute), contre 40% de ceux qui étaient récompensés par le grattage du garrot.
Dans le test de "l'homme passif", les chevaux du groupe "carotte" s'approchaient plus rapidement de l'homme et passaient plus de temps proche de lui, contrairement au groupe "grattage au garrot", un renforcement qui n'a semblé avoir apporté aucune amélioration dans ce sens!
Bref, le grattage de garrot n'a pas permis de réel progrès ni dans l'entrainement ni pour la relation. Les chercheurs supposent que ce grattage n'a pas été perçu comme suffisamment positif pour être associé à une récompense, contrairement à la compensation alimentaire dont les effets positifs ont été observés rapidement, tant sur la progression des chevaux à répondre à l'ordre "reste" que dans la relation homme/cheval.
Quid des précédentes études qui avaient suggéré un bien-être lié au grattage? Nos chercheuses de Rennes font l'hypothèse que la durée de 3 minutes qui avait été choisie alors apportait un effet "massage". Quant à l'abaissement du rythme cardiaque qui avait été constaté, elles estiment qu'il ne permet pas de conclure vraiment sur la valeur positive ou négative de l'action. Et l'on peut lire dans leur rapport de cette 37e journée de la recherche équine: "les réactions négatives de certains individus suggèrent en tout cas qu'il ne s'agit pas d'un renforcement positif universel", en effet, la caresse nécessite chez le cheval un apprentissage, comme le savent tous ceux qui ont eu des poulains à manipuler.
Reste à savoir pourquoi, si elles sont si efficaces, les récompenses alimentaires ne sont pas plus utilisées dans la pratique équestre, qu'elle soit éducation ou équitation?

Alors pourquoi pas les bonbons?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire